Dans
le cadre du pacte Ukusa, chapeauté par la NSA - une
agence indépendante placée sous la responsabilité
du directeur de la CIA -, les Etats-Unis, le Royaume-Uni,
le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande filtrent
conversations téléphoniques, fax et e-mails
dans le monde entier.
Surveillance
du contenu des messages électroniques, écoutes
téléphoniques, satellites-espions. On sait depuis
longtemps que le système de télécommunications
utilisé chaque jour par les particuliers, les entreprises,
mais aussi les ambassades ou les gouvernements n'est pas d'une
confidentialité à toute épreuve. On sait
aussi que l'on s'espionne et que l'on se contrôle entre
pays amis et alliés. Tout cela fait partie d'un jeu complexe
et délicat d'après-guerre froide, dans lequel
chacun est plus ou moins ami et concurrent de tous. On sait
encore qu'il y a un joueur plus malin et plus fort que les autres
: les Etats-Unis. Mais, jusqu'à présent, seuls
quelques dirigeants et spécialistes connaissaient l'existence
d'un réseau de surveillance globale d'une puissance et
d'une étendue extraordinaires, que les Etats-Unis gèrent
avec la collaboration de quatre autres pays anglophones : le
Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Son
existence a été très récemment révélée
par un rapport officiel du Scientific
and Technological Options Assessment [STOA - Commission
d'évaluati on des choix technologiques et scientifiques,
présidée par Alain Pompidou] de la Direction générale
de la recherche au Parlement européen. Intitulé
"Evaluation des technologies de contrôle politique",
ce texte décrit le mécanisme. "En Europe,
tous les appels téléphoniques, les fax et les
textes transmis par courrier électronique [e-mail] sont
régulièrement interceptés, et les informations
présentant un intérêt quelconque sont retransmises
par le centre stratégique britannique de Menwith Hill
vers le quartier général de la National Security
Agency (NSA), l'agence américaine d'espionnage électronique."
Selon ce document, tous les appels, cryptés ou non, peuvent
être sélectionnés, décodés
et intégrés dans une très puissante banque
de données commune aux cinq pays en question.
Cet
incroyable aspirateur à communications, baptisé
Echelon, est le fruit de la technologie mise au point par
l'Ukusa Security Agreement, un pacte de collaboration pour
la collecte de Signal Intelligence [renseignement électronique],
conclu en 1948 et dont l'existence n'a jamais été
officiellement confirmée par ses participants. "Le
plus frappant, c'est que pendant toutes ces années
aucun gouvernement, dans aucun des cinq pays membres, n'a
jamais rien dit ou admis à propos de ce pacte",
dit le chercheur Nicky Hager, auteur de Secret Power, un livre
publié en Nouvelle-Zélande qui rompt pour la
première fois le silence sur Ukusa et sur Echelon.
(Sources
: Claudio Gatti (publié dans CI n° 387, du 2 au
8 avril 1998))
Entretien
avec Glynn Ford (de la Direction générale de
la recherche, au Parlement européen) accuse : des sociétés
américaines ont profité du système Echelon
pour contrer leurs concurrents européens et nippons.
Selon
le rapport STOA,
"en Europe, tous les e-mails, fax et appels téléphoniques
sont contrôlés systématiquement par la
NSA". Vous confirmez ?
LYNN FORD D'après ce que j'ai pu comprendre, les communications
sont interceptées grâce à des réseaux
satellites. Des ordinateurs permettent de tout surveiller
de façon systématique. Ce qui ne veut pas dire
que toutes les conversations téléphoniques sont
interceptées. Mais il existe des ordinateurs capables
de surveiller deux millions de conversations par minute.
Qu'est-ce
qui vous choque le plus ?
Greenpeace et Amnesty international figurent parmi les mots
clés du système Echelon. Je comprendrais pour
le terme Armée rouge, mais pourquoi écouter
des conversations qui évoquent Greenpeace ou Amnesty
?
Que
pensez-vous du fait que les téléphones portables
servent aussi à espionner la population ?
Ce n'est pas le fait d'utiliser des appareils mobiles pour
surveiller des individus suspects qui me dérange. Le
problème, c'est que ce type de surveillance a été
étendu à l'échelle mondiale de façon
sauvage. On ne parle plus d'un nombre limité de "cibles"
; n'importe quelle organisation peut être surveillée.
C'est pourquoi il faut instaurer un organisme de contrôle,
qui pourrait dresser une liste de "cibles", définir
les catégories de personnes ou de groupes susceptibles
d'être surveillés et, enfin, s'assurer que les
informations recueillies sont bien utilisées à
des fins légitimes, et non illégales comme c'est
souvent le cas. Apparemment, des informations captées
par les Etats-Unis ont été exploitées
par des sociétés américaines au mépris
des lois de la concurrence et aux dépens de sociétés
européennes et japonaises.
Que
comptez-vous faire dans l'immédiat ?
La Commission des libertés civiques du Parlement européen
a réclamé une enquête sur le système
Echelon et ses retombées en Europe. Dans quelques semaines,
nous devrions décider à qui confier cette enquête.
Propos
recueillis par Raffaela Scaglietta
(publié dans CI n° 387, du 2 au 8 avril 1998
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